Je suis ravi et honoré de prendre la parole devant vous pour clôturer cette cérémonie des ingénieures et Ingénieuses car vous me donnez l’occasion d’exprimer la grande admiration que m’inspirent et que m’ont toujours inspiré les femmes. Je vous en remercie.
D’ailleurs si mon discours devait être proportionnel à l’estime que j’ai pour vous Mesdames je ferai un discours à la Castro et pas Raoul mais Fidel. Heureusement qu’un excellent cocktail nous attend et donc je serai bref ou plus exactement essaierai de l’être.
De tous temps et dans tous les domaines, les femmes ont dû et su faire avancer leurs droits. A travers une histoire émaillée d’avancées et de reculs, les acquis réels ne l’ont été que finalement dans les cent voire cinquante dernières années dans notre pays. Voici quelques points qu’il me paraît intéressant de rappeler ici :
• 1791 Olympe de Gouges rédige la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », elle mourra guillotinée le 3 novembre 1793,
• 1850 la loi Falloux rend obligatoire la création d’écoles de filles dans les communes de plus de 800 habitants,
• 1903 Marie Curie reçoit le prix Nobel de physique et en 1911 le prix Nobel de chimie. Elle sera la première femme à avoir reçu un prix Nobel et le seul lauréat à ce jour, à avoir été récompensé dans deux domaines scientifiques distincts.
• 1924 Les programmes scolaires sont uniformisés et un seul baccalauréat créé
• 1938 : Suppression de l’incapacité juridique de la femme mariée
• 1944 : Droit de vote et d’éligibilité pour les femmes.
• 1965 : Les femmes mariées peuvent exercer une profession sans l’autorisation de leur mari.
• 1967 : La loi Neuwirth autorise la contraception
• 1970 : L’autorité parentale remplace la puissance paternelle
• 1972 : Reconnaissance du principe « à travail égal, salaire égal ».
– L’école polytechnique devient mixte : 8 femmes sont reçues !
• 1975 : La loi Veil autorise l’Interruption Volontaire de Grossesse
• 1983 : La loi Roudy pose le principe de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes
• 2006 est votée la loi relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.
• 2014 : Vote de la Loi n°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes
Pourtant si la loi fait progresser la condition des femmes, la société en général et le monde professionnel en particulier ne semblent pas avancer au même rythme.
Certaines évolutions sont encourageantes, le pape François ne vient-il pas d’entre-ouvrir la porte de l’église catholique aux femmes diacres, certains courants libéraux du judaïsme permettent à des femmes de devenir rabbin.
D’autres me semblent plus inquiétantes comme la percée fracassante des fondamentalismes religieux et l’avancée des communautarismes de tous bord voire un alarmant retour du racisme.
Il est intéressant d’ailleurs de voir que racisme et sexisme sont deux notions qui se sont mêlées. Apparu à la fin des années soixante aux Etats-Unis, et au milieu des années soixante-dix en France, le concept de sexisme est utilisé par les premières militantes féministes pour nous montrer que le sexe constitue pour la femme, exactement comme la « race » pour les Noirs, un facteur de discrimination et de subordination. Angélina Grimkè, militante abolitionniste, déclarait dès 1863 « Je veux être identifiée au Nègre ; tant qu’il n’aura pas ses droits jamais nous n’obtiendrons les nôtres ». L’analogie entre racisme et sexisme a une logique historique, les deux combats se sont rejoints mais l’analogie a atteint ses limites. Les femmes n’ont pas d’histoire ou de cultures propres antérieures à leur contact avec le groupe oppresseur qui pourraient créer une identité propre. Cela n’a pas empêché la gent masculine de les oppresser depuis la nuit des temps. Les comparaisons avec le racisme génocidaire n’ont pu tenir la route car les femmes n’ont pas fait l’objet de solution finale ou de « gynocide » heureusement pour nous messieurs, ni d’événements spécifiques permettant l’émergence d’une identité minoritaire, tout ceci pose les limite d’un parallèle entre racisme et sexime. Le concept de sexisme comporte en lui-même encore donc un certain flou oscillant entre analyse psychanalytique et définition sociologique et il fait toujours l’objet de débats.
Quelles que soient les limites théoriques du concept, et ses ambiguïtés, la réalité est incontestable : les femmes font encore et toujours l’objet d’oppression, de violence de discrimination dans le monde d’aujourd’hui.
Il ne peut être question d’occulter cette situation, encore moins de tolérer des violences et des pratiques barbares qui subsistent encore à leur encontre, en particulier sous prétexte du respect des cultures.
L’équivoque droit à la différence n’est-il pas l’alibi cachant la volonté de maintenir une différence de droits.
Différence voilà le mot clé ! Un mot formidable mais qui peut devenir très vite un piège abyssal !
Les différences entre les hommes et les femmes existent, il serait absurde de les ignorer, mais elles ne peuvent en aucun cas justifier une quelconque inégalité.
Pourtant le dernier rapport sur la question publié par le ministère de la famille souligne les écarts importants subsistants notamment dans la sphère professionnelle, en voici quelques exemples : écarts de salaires importants (encore près de 20% inférieur pour les femmes aussi bien dans le secteur public que privé), sous-représentation des femmes dans la création d’entreprises (28% des entreprises créées dans le secteur marchand non agricole hors auto entrepreneurs par des femmes, 8% dans le secteur de l’innovation, dans les instances dirigeantes des entreprises et des fonctions publiques , une chance moindre d’être cadre pour les femmes… Malheureusement, le monde des ingénieurs n’est pas épargné par ces écarts. Dès la formation initiale, les clichés ont la dent dure : les jeunes filles sont majoritaires dans les filières littéraires, et quand bien même certaines optent pour des formations scientifiques, trop peu encore rejoignent les écoles d’ingénieurs ou embrassent des carrières scientifiques. En effet, comment ne pas constater qu’alors que 45% des élèves en terminale S sont des femmes, elles ne représentent plus que 34% dans les études supérieures scientifiques et cette proportion chute à 22% après la rentrée dans la vie active. Faut-il accepter un tel état de fait ?
Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours combattu la discrimination, sous toutes ses formes. Qui peut encore penser au regard du constat qui vient d’être posé que l’opération Ingénieuse qui nous réunit aujourd’hui est une sorte de discrimination positive ?
Est-il discriminatoire que de vouloir promouvoir les formations et les métiers d’ingénieurs auprès du public féminin ?
Est-il discriminatoire de dire que le taux de chômage des femmes ingénieures est plus élevé que celui de leurs collègues masculins et vouloir le corriger ?
Est-il discriminatoire de constater que les pays européens les plus innovants sont les pays dans lesquels les femmes sont les plus nombreuses dans les formations scientifiques et techniques ? Je pense à l’Allemagne et à la Finlande.
Est-il discriminatoire d’affirmer que plus de mixité conduit à plus de performance et vouloir la promouvoir ?
Est-il discriminatoire enfin de lutter contre les idées reçues et les stéréotypes ?
Il n’en est point.
Ceux qui me connaissent savent mon amour pour la diversité. J’aime à dire que la culture d’origine est une richesse, pour autant qu’elle ne devienne pas une prison. Comment ne pas citer la célèbre phrase de Simone de Beauvoir tirée du Deuxième sexe : « On ne nait pas femme on le devient ». Tout déterminisme social doit bien sûr être combattu et vous ne serez pas étonnés que j’en appelle ici à l’Humanisme, à l’école laïque et au mérite républicain.
Oserais- je paraphraser la citation de Simone de Beauvoir et la reprendre à mon compte de la façon suivante : « Je ne suis pas né féministe, je le suis devenu » et j’ajouterai que ce, grâce à la philosophie humaniste. Je préfère en effet me réclamer de l’Humanisme qui pour moi inclut la plus totale égalité entre hommes et femmes en dépassant l’approche singulière pour lui préférer une acception universelle de l’Homme. L’Humanisme comme projet d’accomplissement universel fait de l’émancipation de la femme, le levier d’émancipation de tous les êtres humains « La femme est l’avenir de l’homme » selon la célèbre formule de Louis Aragon.
Et parce que l’Humanisme pense le développement de l’individu à travers l’éducation, je souscris à cette autre citation de Simone de Beauvoir « Le principal fléau de l’humanité n’est pas l’ignorance mais le refus de savoir »
A propos de savoir, d’éducation, j’en viens maintenant à l’école républicaine et laïque. La laïcité promeut l’autonomie morale et intellectuelle des personnes, la liberté de conscience ainsi que la pleine égalité de leurs droits au sein de la communauté républicaine.
La laïcité n’est pas seulement garante de l’égalité, elle porte en elle bien des émancipations et constitue un levier majeur de l’émancipation des femmes. Délivrant la loi commune de la tutelle religieuse, la laïcité a permis et surtout encouragé en refondant le droit sur la conscience de ce qui est dû à tout être humain sans distinction aucune, une égale liberté de choisir sa conduite comme son être. Et le mérite républicain qui doit valoir dans l’école laïque et est aussi la chance des filles. Le mérite doit redevenir la valeur centrale au sein de l’école, premier véritable rempart avec la laïcité aux stéréotypes et facteur du déterminisme social. Il doit permettre aux filles de refuser le « plafond de verre », tout ce qui leur voile le champ des possibles et les assigne à résidence dans le champ du deuxième sexe doit disparaitre à jamais.
Pour conclure
L’égalité Hommes Femmes est un combat vieux comme le monde, mais ce n’est pas un combat d’arrière- garde !
Alors que Montaigne écrivait dès le 16ème siècle dans les Essais (III, 1) « Les femmes n’ont pas tort du tout quand elles refusent les règles de vie qui sont introduites au monde d’autant que ce sont les hommes qui les ont faites sans elles », la société bourgeoise du 19ème siècle marque le pas sur les droits des femmes quand par exemple Le Kaiser Guillaume II limite le rôle de la femme aux 3 K à savoir Kinder, Küche, Kirche, (Enfants, Cuisine, Eglise) repris un siècle plus tard à leur compte par les nazis …
L’histoire récente a permis de réelles avancées dont nous pouvons être fiers mais les replis et les régressions guettent encore, dans le communautarisme, le fondamentalisme. Ne reproduisons pas les erreurs du passé ! Les sphères professionnelles et politiques peinent à reconnaître une place totalement égale aux hommes et aux femmes malgré ces progrès.
C’est pourquoi nous sommes hommes, femmes, jeunes ou vieux, parents, enseignants, médias, politiques, intellectuels, leaders d’opinion de tous poils face à un défi.
Celui d’oser, oser encourager l’audace, oser nous libérer de nos propres prisons pour enfin oser libérer plus encore les rêves de nos filles. D’ailleurs, je suis ravi de voir dans l’assistance d’aujourd’hui de nombreuses jeunes filles. Sachez que je trouve votre présence extrêmement importante, capitale même. Je veux vous dire avec toute ma force de conviction : à vous aussi d’oser, de ne pas craindre de dépasser les obstacles qui pourraient vous empêcher d’aller où vous le souhaitez, de ne jamais vous autocensurer. Je vois en vous les Ingénieures de demain, je sais que vous en avez les capacités et plus encore le talent. Gardez à l’esprit que la République est généreuse avec celles et ceux qui avancent et font avancer l’égalité.
Si vous prenez l’initiative je ne doute pas que le monde des ingénieurs saura vous accompagner avec plaisir car il ne peut, ne doit ni ne veut pas rester à la traîne de ce mouvement, lui qui incarne le progrès, l’innovation, l’avenir et je me réjouis de voir des initiatives comme celle d’aujourd’hui se multiplier. Il convient de les soutenir sans réserve.
N’oublions surtout pas cette vérité absolue: c’est nous qui avons besoin de nos filles pour que la France soit plus forte, plus dynamique et plus innovante !