Discours prononcé à la CDEFI en 2016.
La laïcité dans ma jeunesse était comme l’air que l’on respire. En effet, j’ai étudié de l’âge de 6 à 18 ans dans l’un des premiers lycées laïcs du monde, le lycée impérial de Galatasaray fondé en 1868 sous le règne de Napoléon III en France et Abdulaziz en Turquie par les ministres de l’Education Nationale Victor Duruy et Fuat Pacha.
Dans les 20 minutes que vous m’avez accordées, j’essayerai de vous donner ma définition de la laïcité, suivi d’un aperçu historique durant lequel je montrerai que la laïcité n’est pas franco française et qu’elle est loin d’être limitée à un espace géographique. Puis, je parlerai de l’ennemi majeur de cette dernière qu’est le communautarisme. Je rappellerai aussi qu’elle s’inscrit dans notre héritage des Lumières, héritage qu’il convient de préserver. Je continuerai par les liens qui existent entre diversité, laïcité et démocratie pour ensuite regarder en quoi la laïcité est vecteur d’émancipation et d’égalité. Je terminerai en posant un diagnostic pour l’avenir.
Définition
Je dirais que la laïcité est une éthique basée sur la liberté de conscience visant à l’épanouissement de l’Homme en tant qu’individu et citoyen. C’est une garantie apportée par l’État à cette liberté de conscience qui donne le droit d’exprimer ses convictions. La laïcité, c’est aussi la neutralité de l’État en matière religieuse, aucune religion n’est privilégiée, et aucune hiérarchie n’existe entre les croyances ou entre croyances et non croyances. Toutes sont respectées.
La laïcité ne pouvant divorcer de ses propres lois, nul esprit laïc ne peut donc admettre l’injure ou l’outrage qui visent les croyants et inversement. J’ajouterai une remarque plus personnelle : je crois en Dieu donc le blasphème m’attriste et je ne pourrai jamais comprendre les blasphémateurs ni cautionner le livre qui a pour titre « L’éloge du blasphème » mais je ne comprendrai ni n’accepterai davantage qu’on les traine en justice ou qu’on les menace physiquement ou même moralement. En un mot : Oui à une protection légale, égale et légitime des personnes mais non à la police des idées.
La laïcité protège et indifférencie. C’est cette indifférence protectrice et volontaire, c’est cette neutralité absolue qui heurte les extrémistes de tous bords.
La laïcité est aussi une valeur émancipatrice, surtout pour les femmes, je reviendrai sur ce point plus tard.
Pour conclure cette définition, je dirais que la laïcité est partie intégrante de la république et qu’elle est non négociable.
Historique
Commençons par rappeler que la laïcité est fille des Lumières et de 1789, c’est notre héritage et un héritage dont il convient d’être fier.
L’idée de laïcité, dans son acceptation d’aujourd’hui, nait donc pendant la révolution française. L’abolition de l’ancien régime en août 1789 s’accompagne de la fin des privilèges ecclésiastiques et de l’affirmation de principes universels dont la liberté de conscience et l’égalité des droits.
1789 : la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen constitue la liberté religieuse dans son article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses ».
1791 : la constitution établie la liberté des cultes et accorde des droits identiques aux religions présentes alors en France : catholique, protestante et juive.
1871 : Le 2 avril la Commune de Paris pose les bases de ce que la 3ème république allait inscrire dans la loi :
- considérant que le 1er principe de la république est la liberté
- considérant que la liberté de conscience est la 1ere des libertés
- considérant que le budget des cultes est contraire à ce principe, puisqu’il impose les citoyens contre leur propre foi.
- Décrète : Article 1 : l’Église est séparée de l’État.
1881-82 : les lois de Jules Ferry instituent l’école publique, gratuite, laïque et obligatoire.
1905 : la loi de séparation de l’Église et de l’État est votée le 3 juillet par 341 voix contre 233 à la chambre et le 6 décembre par 181 voix « pour » et 102 voix « contre » au sénat. Elle est promulguée le 9 décembre. Comment ne pas citer Aristide Briand, Ministre de l’instruction et des cultes qui dit en novembre 1906 que la loi de 1905 est une loi d’apaisement et que l’État laïc n’est pas antireligieux mais areligieux.
1946 : le principe de laïcité est inscrit dans le préambule de la constitution
1958 : Dans la constitution d’octobre, il figure dans l’article 2 : « la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi, de tous les citoyens sans distinction d’origine de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » Il est devenu article 1er modifié par la loi constitutionnelle le 25 juillet 2008.
Enfin, une charte de la laïcité à l’école a été rédigée par Vincent Peillon le 9 septembre 2013, à laquelle j’adhère totalement.
Un des griefs les plus graves portés à la laïcité est qu’elle ne pourrait se poser en principe universel. La philosophe Chantal Delsol a écrit que la laïcité n’est qu’une sécularisation spécifiquement française. Permettez-moi de vous donner un exemple disqualifiant cette idée. En effet pour nous les mathématiciens un contre-exemple suffit à démontrer qu’un théorème est faux. MK Ataturk abolit le califat le 3 mars 1924 et dote la Turquie d’une constitution laïque, le mot laïcité traduit par Laïklik. Ce qui montre bien que l’idéal laïc peut parfaitement être pensé et formulé dans d’autres langues que le français et sur d’autres territoires. N’en déplaise à Madame Delsol et aux autres adversaires de la laïcité qui la réduisent à un espace géographique hexagonal et à une culture bien française. Ce sont ces mêmes adversaires qui stigmatisent les défenseurs de la laïcité en les traitant de post-colonialistes, de réactionnaires voire d’islamophobes.
Communautarisme
L’assertion de Mme Delsol est dangereuse car en tombant dans le piège de ceux qui réfutent la laïcité comme principe universel, on laisse croire que des laïcités à géométrie variable sont possibles. On accepte que des amendements puissent lui être apportés et ainsi, on ouvre la voie à l’expression de tous les communautarismes. Pour paraphraser Gambetta, républicain résolu et patriote convaincu, je dirais, « le communautarisme : voilà l’ennemi ». Je voudrais rappeler la phrase de Stanislas de Clermont-Tonnerre en 1791 : « il faut tout refuser aux juifs en tant que nation et tout accorder aux juifs comme individus ». Le terme nation doit être compris comme communauté dans cette citation. Si nous consentons par une soi-disant tolérance mais en fait dévoyée, des avantages aux communautés, nous acceptons ipso-facto la mise en tutelle des individus par leur communauté et nous leur fermons ainsi tout accès à l’émancipation et aux droits républicains. En résumé, le communautarisme est la cause de la désintégration de la citoyenneté, c’est le différentialisme entre citoyens , c’est l’intolérance par rapport aux autres, . Céder sur ce terrain, c’est accepter un compromis suicidaire. Il faut en finir avec cette société hypocrite et accepter que ce n’est pas la laïcité mais bien le communautarisme radical qui menace la paix sociale. En effet le communautarisme conduit à la régression de la condition féminine, aux mariages forcés, à l’atteinte du contenu de l’enseignement, à l’atteinte de la culture, de la mémoire voire de l’histoire. En bref, le communautarisme est une prison, ouvrons-en les portes.
Rallumons les lumières
Pourquoi n’est pas admissible qu’un quelconque droit communautaire se substitue peu à peu au droit commun ? Je ne veux pas croire que notre modèle de République, une et indivisible, née des Lumières soit un rêve perdu.
N’oublions pas que Les Lumières se sont construites dans des sociétés dominées par des dogmes religieux tout puissants. A partir de la fin du XVIe siècle pourtant des théologiens et des philosophes ont accepté de renoncer au primat des croyances religieuses en particulier dans l’établissement du contrat social, le plus souvent au prix de persécutions. Précurseur, Spinoza a poussé le premier la logique le plus loin et est sans doute le plus moderne pour son époque car pour lui la religion doit rester une affaire privée, intime, intérieure. On imagine difficilement de nos jours l’audace de son approche et pourtant son héritage trouve sa pleine expression dans notre République laïque.
Mais nous le voyons bien toutes les idéologies ou croyances n’ont pas fait le même chemin. Dans un monde où les distances n’existent plus et les cultures se rencontrent et parfois se confrontent quelle synthèse proposer ? Devons-nous renoncer à notre héritage ? Une fois encore la laïcité, fille des Lumières, reste la seule voie possible qui accorde la liberté de croyance (et de conscience) à chacun mais dans le respect de la loi républicaine commune
Je m’étonne aussi de voir que les défenseurs de la laïcité soient accusés par certains de post colonialistes comme je l’ai déjà précédemment. Faut-il comprendre de ceux-là que le crime le plus grave qu’on reproche aux colonialistes serait d’avoir exporté l’idée des Lumières ? S’il y a eu beaucoup d’atrocités condamnables durant le colonialisme, celui d’avoir exporté l’apport des Lumières ne me parait pas en être une.
Pour en revenir à l’école, aujourd’hui dans certaines universités ou établissements du supérieur ou du secondaire, on hésite à dispenser des enseignements susceptibles de remettre en cause certaines convictions religieuses. Faut-il rester en retrait, laisser faire, ne pas dénoncer ces faits, ce qui revient à les tolérer pour ne pas dire les accepter ? Là aussi ne baissons pas les yeux. Ces petites concessions quotidiennes qui peuvent paraître anodines sont pourtant des reculs de la laïcité. Nombreux sont les exemples concernant notre école. il est impératif de défendre ce qui constitue la colonne vertébrale de notre modèle républicain.
Dans ce modèle, permettez-moi de m’attarder un instant à ce qui est pour moi un fondement essentiel de notre école : le mérite républicain. Les pourfendeurs de je ne sais quelle culture élitiste critiquent le mérite républicain en arguant que cela discrimine positivement la bourgeoisie, sans se rendre compte que si, dès le collège, la mixité devient impossible, alors il n’y aura pas une citoyenneté commune. L’école est désormais le seul et le dernier lieu à la porte duquel les règles particulières, familiales, traditionnelles, religieuses doivent impérativement rester. Je dis qu’il est grand temps de « rallumer les Lumières » comme titrait le Monde récemment à l’occasion de la publication d’un entretien avec le philosophe Yves Michaud.
C’est la meilleure façon de garantir la diversité dans nos écoles, diversité elle-même garante de l’unité de la République et du recul des tentations communautaristes.
Diversité, laïcité et démocratie
La France est face à un danger : elle risque de se fourvoyer en voyant dans l’universalisme républicain la domination des minorités culturelles. Pour moi la France est avant tout une culture, une langue, une histoire, ne pas les défendre c’est vouloir tuer la République. Sous prétexte de respect de la diversité des cultures, le droit à la différence tend à promouvoir la différence des droits qui est inacceptable dans la république. Le problème principal n’est donc à mon avis ni le salafisme ni les autres tendances encore plus radicales mais c’est la faiblesse de la République, elle est son pire ennemi en acceptant « d’interdire d’interdire » ce qu’aucun républicain ne peut cautionner.
C’est l’appartenance commune qui doit être le liant entre les citoyens et cette appartenance commune à la république vaut par l’approbation des valeurs qu’elle porte au 1er rang desquels je placerais la tolérance. Cela ne signifie pas de nier ou rejeter les spécificités culturelles de chacun, et la République française précise bien que les hommes sont libres et égaux en droits. La culture d’origine est une richesse si elle ne se transforme pas en prison et elle trouve les conditions de son épanouissement dans la laïcité. En effet, la laïcité en objectivant le rapport à l’autre et à ses différences, crée un espace commun et partagé, régi par les règles de l’ensemble du groupe dans sa diversité : l’espace républicain. Cet espace commun mais supra communautaire organise les règles du vivre ensemble en définit les contours et les limites entre ce qui relève du privé et du socialement commun. Ces règles, pour être acceptées des citoyens doivent être le résultat d’un processus démocratique. Ils doivent prendre en compte la diversité des citoyens et ne doivent s’appuyer que sur un seul critère : celui de l’intérêt général et de la protection des plus faibles, surtout les femmes des territoires perdus de la République. Les critères identitaires, les normes communautaires propres à une seule catégorie de personnes empêchent un traitement égal des citoyens et sont par nature contraires à l’intérêt général.
Liberté, Égalité, Émancipation
Si nous voulons un enseignement égalitaire, qui à mon avis est une exigence première de la République, tous les acteurs sont concernés et les parents en particulier. C’est une exigence que doit s’imposer l’école républicaine pour mener sa mission sereinement et ne pas laisser les dogmes s’insinuer en son sein. La chose est sans doute moins facile aujourd’hui qu’hier. Et je me surprends à penser parfois avec Jacques Muglioni : « Il y avait jadis plus de laïcité dans une école de jésuites armés de fermes exigences scolaires qu’aujourd’hui dans une école publique livrée au clergé pédagogique investi par le pouvoir et dénonçant comme rétrograde toute volonté d’instruire. ».
J’ai toujours pensé que l’enseignement est une chaine qui va de l’école primaire à l’université. Et comme la force d’une chaine se mesure à son maillon le plus faible, il faudrait prendre des mesures dès le collège. (voir le rapport Obin et les territoires perdus de la République).
Parmi les idées régulièrement évoquées, celle du port de l’uniforme à l’école primaire, au collège et au lycée mériterait d’être de nouveau étudiée. Qu’ y a-t-il de plus égalitaire que l’uniforme ? Il est répandu dans les pays anglo saxons, et il est intéressant de noter que le terme laïcité est traduit en anglais par « secularity ». ce qui veut dire en particuler dans les pays de culture protestante « pouvoir exercer librement le culte de son choix ». Pour autant le sacré y est présent en permanence : « in God we trust, God save the Queen »…
La laïcité n’est pas seulement garante de l’égalité, elle porte en elle bien des émancipations et constitue par exemple un levier majeur de l’émancipation des femmes. Délivrant la loi commune de la tutelle religieuse, la laïcité a permis et surtout encouragé en refondant le droit sur la conscience de ce qui est dû à tout être humain sans distinction aucune, et notamment une égale liberté de choisir sa conduite comme son être. En un mot : être maître de son destin. Pour cela, il fallait affranchir la loi commune de normes religieuses pour accorder à chacun en l’occurrence à chacune une liberté de choix conforme aux principes républicains.
Avenir de la laïcité
L’amour de la laïcité n’est plus dans l’air du temps. Depuis quelques années, elle hérite de qualificatifs toujours plus grotesques et qui sont davantage destinés à la disqualifier plutôt qu’à la définir. Laïcité apaisée, laïcité dans la diversité, laïcité modernisée, laïcité inclusive, laïcité pluraliste et enfin le qualificatif le plus aberrant de tous, celui de la laïcité positive, très en vogue il y a peu. Comme s’il pouvait exister une laïcité négative ! La laïcité est neutre ou elle n’est pas. Enfin, je voudrais clore mon propos sur ce que je crois intrinsèque à la laïcité et qui est le troisième principe de la devise de la république Française, la fraternité. La laïcité, en ce qu’elle accueille en son sein, toutes les diversités, en les transcendant, en une communauté unie et unique, est fraternité. Elle promeut l’autonomie morale et intellectuelle des personnes, la liberté de conscience ainsi que la pleine égalité de leurs droits au sein de la communauté républicaine. Saint-Exupery écrit dans Pilote de Guerre en 1942 : « On ne peut être frères qu’en quelque chose. S’il n’est point de nœud qui les unisse, les Hommes sont juxtaposés et non liés, on ne peut être frère tout court ». La laïcité réalise à elle seule cette exigence et est ainsi le bras armé de la fraternité au sein de la république.